Travailleurs domestiques : La loi 19.12 loin de faire l’unanimité

Entrée en vigueur mardi dernier, la loi n° 19.12 fixant les conditions de travail et d’emploi des travailleuses et des travailleurs domestiques ne fait pas l’unanimité. Les ONG de défenses des droits des enfants, les employeurs et même certains travailleurs domestiques n’en sont pas convaincus.
Près de deux ans après sa promulgation, la loi n° 19.12 fixant les conditions de travail et d’emploi des travailleuses et des travailleurs domestiques est entrée en vigueur mardi dernier. Cette loi, qui vient réglementer pour la première fois le travail des personnes qui s’occupent des tâches ménagères, du baby-sitting, du gardiennage, etc., et qui avant la date du 2 octobre travaillaient de façon informelle, vise à poser un cadre juridique préservant leurs droits et leur dignité.
Ainsi, ce texte, qui ne concerne que les personnes qui effectuent des travaux liés à la maison ou à la famille, de façon permanente et habituelle, exige la signature d’un contrat de travail entre les deux parties et explicite par la même occasion les modalités de recrutement afin d’éviter toute confusion de la part des employeurs. D’après le même texte, les travailleuses et travailleurs domestiques n’ont pas à exécuter un travail forcé ou contre leur gré et bénéficieront dorénavant d’un repos hebdomadaire d’au moins 24 heures continues, et après six mois de service continu chez l’employeur, d’un congé annuel payé dont la durée minimale est d’un jour et demi de travail par mois. Pour ceux et celles dont l’âge est compris entre 16 et 18 ans, la durée hebdomadaire de travail ne devra pas dépasser 40 heures.
Le salaire de ces employés devra, quant à lui, être payé à la clôture de chaque mois, sauf accord contraire entre les parties, avec un droit d’indemnité en cas de licenciement après un an continu de travail effectif chez le même employeur. La loi fixe aussi le niveau minimum du salaire, à savoir 60% du SMIG du droit commun, soit près de 1.542 DH par mois. En cas d’atteinte à leurs droits, les travailleurs et travailleuses domestiques pourront porter plainte à l’encontre de leur employeur auprès des agents chargés de l’inspection du travail, ou par l’employeur à l’encontre de la travailleuse ou du travailleur domestique pour tout ce qui concerne l’exécution du contrat du travail conclu entre les deux parties. Des amendes oscillant entre 3.000 et 30.000 dirhams sont prévues pour tout employeur abusant des droits de ses employés et enfreignant la loi. Autant d’avantages qui ne peuvent que réjouir les principaux intéressés par cette nouvelle loi. «Il était grand temps de mettre en place un cadre juridique pour garantir nos droits en tant que travailleurs domestiques. Nous sommes la catégorie d’employés la plus vulnérable. Avant cette loi, nous n’avions aucun droit. Et bien que nous travaillions beaucoup plus que de nombreuses personnes, nous ne nous reposions presque jamais et nous touchions une misère à la fin de chaque mois. Mais comme la vie est devenue très dure, nous ne pouvions qu’accepter. J’espère que les choses vont changer maintenant avec l’entrée en vigueur de cette nouvelle loi», confie Naïma, 33 ans, femme de ménage.
Si cette dernière est plutôt optimiste, d’autres ne croient pas trop à l’application de ce texte. «Pour moi, l’entrée en vigueur de cette loi ne changera rien. Je continuerai de travailler chez les gens chez qui je travaille depuis des années et de la même façon. Ils sont gentils avec moi et je me sens bien avec eux. J’ai peur, si je leur impose ces nouvelles règles, qu’ils ne soient pas contents et qu’ils décident de se passer de mes services. J’ai besoin de ce travail et je ne peux pas courir le risque», témoigne Fatima, 47 ans, femme de ménage. «D’ailleurs, je pense que cette loi ne peut pas être appliquée au Maroc, comme celle des sacs en plastique qu’on continue tous à utiliser. Il sera difficile de contrôler toutes les maisons pour savoir si les employeurs respectent ou pas cette loi. Je connais beaucoup de personnes qui travaillent dans des entreprises et qui n’ont pas tous ces avantages, alors pour les travailleurs domestiques, ce n’est même pas la peine de rêver».
En effet, le contrôle de l’application de la loi n° 19.12 serait plutôt difficile, puisque selon l’article 22, celui-ci ne peut être fait que par un inspecteur du travail et sur plainte d’un travailleur qui estime que ses droits n’ont pas été respectés. Si l’on sait que les inspecteurs de travail sont en sous-effectifs (0,84 inspecteur pour 10.000 salariés en 2015) et ont déjà du mal à contrôler les grandes entreprises, on se doute que chez les particuliers ce serait encore plus difficile. Et si on ajoute à cela le droit constitutionnel à la vie privée qui interdit, notamment aux inspecteurs du travail, d’accéder au domicile de l’employeur, on se rend compte que le contrôle de l’application de cette loi ne sera pas chose facile. De leur côté, les employeurs, en général des mères de famille tiraillées entre leurs obligations personnelles et professionnelles et qui optent pour l’emploi d’une aide-ménagère, redoutent cette loi et croient qu’elle offre de nombreux avantages aux employés leur détriment. «Cette loi, c’est vraiment tout ce qui nous manquait», ironise Sanaa, 36 ans, mère de famille. «Nous sommes déjà à la merci des aides ménagères qui ne cessent de faire des caprices et demander toujours plus tout en imposant leurs propres règles. Maintenant, avec cette loi, cela va devenir pire. Elles vont l’utiliser contre nous et commencer à nous menacer, même si la plupart des employeurs font de leur mieux pour les garder et les satisfaire. De plus, cette loi va occasionner pour nous des frais supplémentaires, alors qu’on arrive à peine à nous en sortir comme ça», poursuit-elle.
Droits des mineurs : les ONG insatisfaites de la loi
La loi n° 19.12 fixe à 18 ans l’âge minimal des employés de maison, avec toutefois, et durant une période transitoire de cinq ans à partir de la date de son entrée en vigueur, la possibilité d’employer des personnes âgées de 16 à 18 ans en tant que travailleuses ou travailleurs domestiques, à condition d’obtenir une autorisation écrite de leurs tuteurs, dont la signature est légalisée, aux fins de signer le contrat de travail les concernant. Et c’est justement cette disposition qui dérange le Collectif associatif pour l’éradication de l’exploitation des petites bonnes. «Cette loi méprise “l’intérêt supérieur de l’enfant” et les engagements internationaux de notre pays. L’ancien gouvernement et sa majorité y ont prévu une période transitoire inexpliquée et inexplicable de 5 ans pendant laquelle il est permis d’exploiter les enfants de 16-17 ans dans le travail domestique, donc jusqu’au 2 octobre 2023 !», souligne le Collectif dans un communiqué. Et d’ajouter que «ce texte ne comprend aucune disposition, ni aucun instrument pour extraire et réinsérer les dizaines de milliers de mineurs de tous âges qui sont actuellement en situation d’exploitation, ce qui traduit l’absence de vision et la précipitation qui a prévalu dans le processus d’adoption de ce texte pour des considérations politiciennes
de fin de mandat».