L’Union européenne et la France complices de la répression en Égypte

Les transferts d’armes vers l’Egypte sont censés être suspendus depuis août 2013. Les violences commises à plusieurs reprises contre des manifestants à l’aide de ces armes ont justifié cette décision. Pourtant les transferts continuent et 13 des 28 États membres de l’UE dont la France continuent de fournir à l’Egypte des armes et des équipements pour le maintien de l’ordre . La suspension des transferts est une mesure insuffisante qui risque en plus de ne pas être maintenue.
Près de trois ans se sont écoulés depuis les tueries qui ont poussé l’UE à demander à ses États membres de suspendre leurs transferts d’armes vers l’Égypte, et la situation des droits humains s’est encore dégradée. Les forces de sécurité continuent de mener une répression interne, et elles agissent quasiment en toute impunité. Le recours excessif à la force, les arrestations arbitraires massives, la torture et les disparitions forcées font à présent partie du mode opératoire des forces de sécurité.
Les pays de l’UE qui transfèrent des armes et des équipements pour le maintien de l’ordre aux forces égyptiennes qui se livrent à des disparitions forcées, à la torture et à des arrestations arbitraires de façon massive, agissent de façon irresponsable.
L’UE COMPLICE DE LA RÉPRESSION
En 2014, des États membres de l’UE ont octroyé 290 licences d’exportation vers l’Égypte d’équipements militaires pour un total de plus de 6 milliards d’euros (6,77 milliards de dollars des États-Unis). Les articles concernés comprenaient des armes légères et de petit calibre ainsi que des munitions, des véhicules blindés, des hélicoptères militaires, des armes lourdes destinés aux opérations militaires et de lutte contre le terrorisme, et de la technologie de surveillance.
Les pays de l’UE qui fournissent des armes à l’Égypte depuis 2013 au moyen d’exportations ou de courtage sont les suivants : Allemagne, Bulgarie, Chypre, Espagne, Hongrie, Italie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Serbie et Slovaquie.
Parmi les principaux fournisseurs d’armes utilisées en Égypte pour de la répression interne, la France figure en bonne place : elle a émis des licences d’exportation pour des biens représentant un montant de plus de 100 millions d’euros en 2014 et entrant dans la catégorie « bombes, torpilles, roquettes, missiles et autres engins explosifs » et « véhicules terrestres et leurs composants ». Elle a aussi exporté plus de 100 camions Sherpa, recommandés par le constructeur pour les forces de sécurité
Selon Privacy International, des entreprises de plusieurs pays de l’UE, dont l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni, ont également fourni aux autorités égyptiennes des technologies ou des équipements sophistiqués destinés à être utilisés pour la surveillance exercée par l’État, et nous craignons que ces équipements ne soient utilisés pour réprimer la dissidence pacifique et pour violer le droit au respect de la vie privée.
RÉPRESSION VIOLENTE DE LA DISSIDENCE EN ÉGYPTE
Au cours des dernières années, les autorités égyptiennes ont mené une répression sous le prétexte de rétablir la stabilité dans le pays après la destitution par l’armée du président Mohammed Morsi en juillet 2013. Elles ont utilisé des méthodes brutales, notamment en recourant à une force excessive et arbitraire avec des armes à feu, des véhicules blindés et d’autres équipements, qui ont causé l’homicide illégal de centaines de manifestants. Des milliers de personnes ont aussi été arrêtées et jugées dans le cadre de procès collectifs manifestement iniques. Des détenus signalent souvent des actes de torture et d’autres mauvais traitements.
La Loi de 2013 relative aux manifestations permet aux forces de sécurité de réagir de façon « proportionnée » quand des manifestants utilisent des armes à feu, afin de protéger la vie, l’argent et les biens d’autrui – mais cette disposition est interprétée d’une manière qui viole les normes internationales qui permettent aux forces de sécurité d’utiliser une force meurtrière qu’en cas de risque imminent de mort ou de blessure grave.
Depuis l’entrée en vigueur de cette loi, les forces de sécurité ont utilisé une force excessive pour disperser brutalement des manifestations, avec des conséquences souvent meurtrières. En janvier 2015, au moins 27 personnes sont mortes dans le cadre de violences liées à des manifestations, dont un grand nombre aux mains de membres armés des forces de sécurité. Parmi eux figure Shaimaa Al Sabbagh, militante politique, poétesse et jeune mère, qui a été tuée par balle par un policier dans le centre du Caire. Malgré les images de sa mort qui ont largement circulé et l’indignation internationale qu’elles ont suscitée, l’agent des forces de sécurité qui avait dans un premier temps été considéré comme responsable de cet homicide a vu sa déclaration de culpabilité annulée par la plus haute juridiction égyptienne, et il doit à présent être rejugé.
Des membres armés des forces de sécurité ont également procédé à des arrestations massives de personnes qui critiquaient le gouvernement et d’opposants politiques. Près de 12 000 personnes ont été arrêtées parce qu’elles étaient soupçonnées de « terrorisme » au cours des seuls 10 premiers mois de l’année 2015, selon un responsable du ministère de l’Intérieur cité par la presse égyptienne
Au cours de l’an dernier, le pays a connu une vague de disparitions forcées : des centaines de personnes ont été enlevées par des membres armés des forces de sécurité. Ces personnes sont maintenues en détention au secret de façon prolongée, sans qu’elles puissent communiquer avec leur famille ou avec un avocat, et torturées par des agents des forces de sécurité qui tentent de leur faire « avouer » des infractions liées au terrorisme.
OPÉRATIONS MILITAIRES DANS LE SINAÏ
L’armée égyptienne a mené un nombre croissant d’opérations militaires contre des groupes armés, qui ont lancé des attaques contre des civils et des forces de sécurité, notamment dans le nord de la péninsule du Sinaï. On sait qu’elle a utilisé des armes lourdes lors de telles opérations, y compris des véhicules blindés, des chars, des hélicoptères de combat Apache et des avions de combat F-16.
Notre organisation est préoccupée par l’absence totale de transparence en ce qui concerne les opérations militaires menées contre des groupes armés.
Les médias ont été contraints au silence sur les opérations militaires menées dans le Sinaï, et les journalistes et organisations indépendantes de la société civile ont reçu l’interdiction de se rendre dans cette région. Pendant ce temps, des pays de l’UE ont autorisé des transferts d’armes lourdes et d’équipements censés aider l’Égypte à combattre le « terrorisme », malgré l’absence de transparence et de garanties en matière de droits humains quant à leur utilisation. Cela est particulièrement inquiétant compte tenu du fait que les responsables des violations flagrantes des droits humains commises sous le régime militaire à la suite du soulèvement de 2011 n’ont absolument pas eu à répondre de leurs actes.
L’UE FACILITE LA RÉPRESSION INTERNE
Alors que les informations qui ont été réunies montrent que de nombreux États de l’UE n’ont pour ainsi dire tenu aucun compte de l’appel lancé en 2013 pour une suspension des transferts d’armes utilisées pour la « répression interne » en Égypte, il est à craindre que les prochaines négociations ne débouchent sur un nouvel assouplissement voire une suppression de cette suspension. Cela fait suite à la décision prise l’an dernier par les États-Unis de relancer son aide militaire à l’Égypte pour un montant annuel de 1,3 milliard de dollars.
Le fait de fournir des armes qui vont probablement faciliter la répression interne en Égypte est contraire aux dispositions du Traité sur le commerce des armes, auquel tous les États de l’UE sont parties, et bafoue la position commune de l’UE sur les exportations d’armes.
L’UE doit immédiatement imposer un embargo sur tous les transferts des types d’armes et d’équipements utilisés en Égypte pour commettre de graves violations des droits humains. L’UE et ses membres doivent cesser de récompenser le comportement déplorable de la police et de l’armée égyptienne en leur fournissant des armes.
Amnesty International