FIFA : Platini suspendu, son élection compromise ?

On pourrait appeler ça la politique du gazon brûlé. Perdu pour perdu, Sepp Blatter, le président bientôt déchu de la Fédération internationale de foot, semble décidé à ne pas vouloir tomber seul. Et à entraîner dans sa chute Michel Platini, son ex-affidé, devenu son rival puis le principal favori à sa succession. La commission d’éthique de la Fifa, longtemps soupçonnée d’être aux ordres de Blatter, vient en effet de suspendre les deux hommes pour 90 jours période pendant laquelle «les personnalités citées sont bannies de toute activité liée au football que ce soit sur le plan national ou international». Ce qui pourrait interdire à Michel Platini de se porter officiellement candidat à la succession de Blatter pour l’élection (dont il était le grand favori) programmé le 26 février; la date limite de dépôt des candidatures étant fixé au 26 octobre. Sur le sujet, le conditionnel reste de rigueur: contactée par l’AFP, la commission d’éthique a indiqué que c’est la commission électorale qui décidera si Platini peut s’aligner.
Dans le grand foutoir qu’est devenue la Fifa depuis le blitzkrieg judiciaire déclenchée en mai par les justices suisse et américaine, cette décision de la commission d’éthique ajoute du bordel au bordel. Car un autre candidat déclaré à la succession de Blatter, le Coréen Chung Mong-joon, a également ramassé: six ans de suspension et 100 000 francs suisses d’amende; il est soupçonné d’avoir voulu favoriser son pays dans le processus d’attribution du Mondial 2022. Dans la charrette des suspendus a également été embarqué Jérôme Valke, le secrétaire général de la Fifa: soupçonné d’être impliqué dans un trafic de billets, et suspendu le mois dernier à titre conservatoire, il écope également de 90 jours de suspension.
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Concernant Platini et Blatter, il n’est pas question de corruption, même s’il s’agit de gros sous. De quelque 2 millions de francs suisse, versés par la Fifa à Michel Platini en 2011. Un arrièré des salaires qui lui étaient dûs, a toujours défendu le Français, remontant à l’époque (fin des années 1990 début des années 2000) où lui et Blatter étaient cul et chemise. Platini avait joué les porte-flingue du Suisse dans la conquête de la Fifa, en 1998, puis en 2002; en échange, Blatter lui avait apporté l’UEFA (la confédération européenne) sur un plateau en 2007. Sauf que pour la justice suisse, ces 2 millions pourraient relever de l’abus de bien social au détriment de la Fifa: Blatter en serait l’auteur et Platini le receleur. Dans le cadre de cette affaire, tous deux avaient été entendus fin septembre par la justice suisse, Blatter (comme prévenu) et Platini (comme témoin assisté). Blatter est en outre soupçonné d’avoir soupçonné d’avoir vendu très en dessous de leur valeur, les droits télés des Coupe du monde 2010 et 2014 à l’Union caribéenne de foot.
Platini avait pris les devants jeudi matin, indiquant dans un communiqué avoir effectué les démarches pour «déposer» sa candidature à la présidence. L’ancienne star de la Juventus a ainsi «adressé» jeudi matin «les lettres de soutien requises pour pouvoir déposer (s)a candidature à la présidence de la Fifa». Le Français qui peut théoriquement contester sa suspension devant la commission de recours de la Fifa puis devant le Tribunal arbitral du sport, devra en tout état de cause surmonter un autre obstacle: celui de la commission électorale de la Fifa qui a le pouvoir de déclarer inéligible un candidat en vertu de plusieurs critères, dont celui de l’intégrité. Or, quelle commission mène cette enquête d’intégrité? La commission d’éthique qui vient de le suspendre.
Les mises à l’écart définitive de Chung et provisoire de Platini ne laissent plus sur le terrain que des postulants de second ordre, comme le prince jordanien Ali bin Al Hussein, l’ancienne star du football brésilien Zico ou encore le président de la Fédération du Liberia Mussa Bility. Un outsider pourrait toutefois se déclarer: le Sud-Africain Tokyo Sexwale, ancien compagnon de cellule de Nelson Mandela, nommé récemment à la tête du Comité de surveillance de la Fifa pour Israël et la Palestine.
Cette nouvelle secousse tellurique sur la Fifa pourrait-elle aller jusqu’à remettre en cause la tenue de l’élection présidentielle le 26 février? «Ce sera décidé très prochainement», a indiqué à l’AFP un proche collaborateur de Blatter. Pour une autre source familière du fonctionnement de la Fifa, au contraire, «la Fifa a plus que jamais besoin d’une élection avec des candidats qui présentent un programme et avec un vrai débat public sur son avenir et sur l’avenir du football». En attendant, le président par intérim de la Fifa est désormais Issa Hayatou, patron du foot africain depuis 1988, grâce à son ancienneté dans la gouvernance du foot mondial.